Claire Compagnon à l'Académie de médecine de Paris, le 28 mars 2023
Seul le prononcé fait foi
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Mr le président,
Mme la vice-présidente,
Mesdames et messieurs les académiciens,
Mesdames et messieurs,
Mr le Président : je vous remercie de l’honneur qui m’est fait aujourd’hui de m’exprimer devant votre assemblée, au titre de la fonction que j’occupe depuis maintenant 5 ans de déléguée interministérielle en charge de conduire la politique publique de l’autisme et des TND.
Cette mission que m’a confié le Président de la République en 2018 est importante pour plusieurs raisons : je veux bien sur parler de l’histoire si particulière de la France avec l’autisme … de l’importance de ces TND en termes épidémiologiques, j’y reviendrais dans un instant mais aussi parce nous devons répondre aux enjeux de dignité et de qualité qu’attendent les personnes concernées et leurs familles.
Mr le président, vous l’avez rappelé à l’instant l’Académie nationale de Médecine s’est engagée depuis de nombreuses années aux côtés de la communauté de recherche sur les TND, et je vous en remercie.
Vous avez accueilli, ici même, dans cette salle des séances, le colloque de lancement du « Réseau recherche Autisme Aviesan » déjà dirigé à l’époque par le Professeur Catherine Barthélémy. Deux ans après, c’est ce même réseau qui a donné naissance au Groupement d’Intérêt Scientifique Autisme et Troubles du Neuro-Développement
Vous savez donc à quel point ces questions sont essentielles pour toutes les raisons que je soulignais dans mon propos liminaire.
Avant de vous dire quel est notre bilan je voudrais si vous me le permettez rappeler quelques données épidémiologiques récentes en la matière :
- Une augmentation de la prévalence globale des TND, et plus particulièrement du TSA et du TDAH, a été rapportée dans de nombreux pays depuis la fin du 20ème siècle. L’étude de Zablotsky et al. publiée en 2019 montre une augmentation de la prévalence de l’ensemble des TND qui est passé de 16.2 entre 2009-2011 à 17.8% pour la période 2015-2017.
- Un enfant sur 6 présente donc un trouble du neuro-développement. Ces troubles représentent donc aujourd’hui les « affections » les plus fréquentes chez les enfants.
- Si l’on regarde la question particulière des TSA, on constate également une augmentation progressive de la prévalence du TSA. Pour les enfants âgés de 8 ans on est passé de 0.6% en 2000 à 2.3% en 2018 (CDC, 2023).
- Et ces résultats convergent s’agissant du Royaume-Uni (Russell et al., 2022), du Canada (Canada, 2022), de l’Australie (Autism in Australia, Autism, 2017) et dans bien d’autres pays dont la France.
Nous le savons la prévalence des TND est influencée par un ensemble de facteurs tels que l’évolution des classifications et des critères diagnostiques, la diffusion des connaissances dans le champ médical et dans le grand public, ou encore l’offre de soin.
Mais les facteurs que je viens de citer ne peuvent expliquer qu’une partie seulement de l’augmentation de la prévalence du TSA (Weintraub, 2011).
D’autres facteurs pourraient contribuer à l’augmentation de la prévalence du TND, notamment l’influence des changements majeurs de l’environnement (alimentation, mode de vie, activités professionnelles, pollution des milieux, etc…).
Ces données épidémiologiques donnent un peu le vertige : elles nous montrent clairement l’importance du travail à conduire en terme de recherche, de prévention et d’accompagnement des personnes.
Car il ne faut pas l’oublier l’autisme est avant tout une histoire individuelle qui bouleverse le cours d’une vie, d’une fratrie, d’une famille que nous soyons ici en France ou dans toute autre partie du monde.
Face à ces situations, notre pays comme beaucoup d’autres n’a pas été à la hauteur et ce que nous tentons de faire depuis maintenant 5 ans c’est de changer profondément et durablement cette situation.
S’il est toujours difficile d’apprécier la réalité et l’ampleur de l’errance diagnostique, des prises en charge inadaptées, plusieurs indicateurs sont encore préoccupants dans certains territoires : les associations et des familles témoignent au quotidien de mauvaises pratiques qui perdurent : culpabilisation, diagnostics obsolètes voire inadéquats, retards diagnostics et dans les prises en charge, faible association des familles aux soins et interventions prodigués, maintien d’interventions inappropriées, absence de réponses en termes de répit et difficultés administratives récurrentes auprès des MDPH.
Dans ce lieu emblématique de la connaissance où vous m’accueillez aujourd’hui, ces propos prennent un accent encore plus particulier : nous devons garantir aux personnes le meilleur des connaissances … et des interventions de qualité conformes aux données de la science qui leur sont nécessaires tout au long de leur parcours de vie.
Le choix qu’a fait le Président de la république d’inscrire, en 2018, dans les priorités de l’action publique, cette politique en matière de TSA et des TND a permis un changement de paradigme et d’échelle. Jamais autant de moyens nouveaux n’avaient été consacrés à cette cause en 5 ans et ce sont près de 550 millions d’euros qui ont attribués à ces actions.
Les engagements pris sont nombreux et d’une ampleur sans précédent je viens de le rappeler, en termes notamment de recherche scientifique, de construction des parcours notamment précoces, d’inclusion scolaire et dans la cité des élèves autistes, de production et de diffusion des connaissances, de soutien aux personnes qui connaissent les troubles les plus graves, et d’accompagnement vers le logement et l’emploi.
Qu’avons-nous fait durant ces 5 années : notre première ambition a été d’inscrire la science au cœur des pratiques en structurant une recherche d’excellence pour créer une nouvelle dynamique avec un écosystème structurant et renforcé en ressources humaines et moyens de recherche.
Dans le domaine de la recherche et de la clinique, l’un des changements importants est l’inscription de cette politique publique dans un cadre plus large que sont les TND. Aujourd’hui, nous le constatons chaque jour, l’inscription de l’autisme dans la référence internationale aux troubles neuro développementaux, loin d’affaiblir l’ambition générale de mieux répondre aux besoins et attentes des personnes autistes, génère des synergies, des transversalités qui profitent à tous et met en lumière la très fréquente association de plusieurs de ces troubles chez le même enfant ou chez le même adulte.
Comme je l’ai souvent exprimé il était indispensable de faire ce choix d’une politique élargie à tous les TND à la fois pour des raisons d’efficience et d’équité.
Pour piloter cette première ambition, un groupement d’intérêt scientifique a été créé, vous l’avez rappelé tout à l’heure, pour structurer et animer la recherche en associant des chercheurs, des personnes concernées par ces troubles et des associations ;
• Un jury international a identifié cinq centres d’excellence TSA –TND qui sont désormais l’interface entre la recherche fondamentale, la recherche clinique, les soins et la formation universitaire et dont les missions dans les prochaines années vont être encore amplifiées ;
• Des appels à projets ciblant l’autisme et le neuro-développement comme priorités ont été mis en œuvre ;
• De même la création de postes de chefs de clinique pour mobiliser des jeunes chercheurs dans ces champs ;
• Le lancement de la cohorte épidémiologique MARIANNE qui constituera la première cohorte prénatale européenne susceptible de répondre avec précision aux questions sur le rôle des facteurs environnementaux dans la survenue des troubles du neuro-développement chez l’enfant.
Et ce que vois à l’œuvre depuis maintenant 5 ans, c’est une communauté mobilisée et au travail dans le domaine de la recherche.
C’est essentiel, la puissance publique ne peut se passer d’une force unie de chercheurs :
- Unie autour de la diffusion de connaissances actualisées sur les troubles du neuro-développement ; combattant ainsi, toutes les fake news et permettant à chacun de se saisir des données de la science ;
- (Une force unie de chercheurs) Unie autour de l’amélioration de la qualité de vie de personnes, en faisant le lien entre l’excellence de la recherche et l’excellence de la pratique, et le développement d’accompagnements fondés sur les connaissances scientifiques acquises ;
- Et Unie autour de projets de recherche ambitieux, qui nous le voyons aujourd’hui se situent en très bonne place au niveau international.
L’objectif qui attend les chercheurs et les cliniciens est de taille, car dans le même temps, ils ne doivent pas perdre de vue les spécificités de chacune des situations, afin d’améliorer et d’éclairer par la science les meilleures démarches personnalisées d’intervention mais aussi développer des axes de recherche pour mieux comprendre ce qui est commun à tous ces troubles.
C’est cela « Remettre la science au cœur des pratiques » pour soutenir et accompagner au mieux les personnes concernées dans leur contexte et parcours de vie.
La science, vous le savez ce sont les certitudes. Ce que l’on sait déjà. Et qui permet déjà, et depuis longtemps maintenant, de ne plus culpabiliser stupidement les mères, les parents, l’environnement, quand un enfant ne va pas bien, qu’il développe des troubles.
Ces certitudes, il faut les diffuser, les imposer. Ne plus accepter leur remise en cause par des personnes qui diffusent des fausses informations voire les portent en étendard dans leurs pratiques quotidiennes.
La science, c’est aussi l’espoir. Beaucoup d’espoir. Des personnes comme de leurs familles, d’appréhender complètement, un jour, les causes des troubles qui les affectent.
L’espoir, si ce n’est d’une guérison, d’un repérage précoce, et d’interventions parfaitement adaptées aux besoins. L’espoir de construire des dispositifs publics qui répondent aux souhaits des personnes, et visent une meilleure qualité de vie.
Alors entre certitudes et espoirs, les chercheurs, font face à beaucoup de responsabilités, et d’attentes.
Je sais que nos connaissances dans les champs des troubles du neuro-développement doivent nous amener à beaucoup d’humilité : on sait de plus en plus, mais beaucoup reste à découvrir.
On ne guérit pas aujourd’hui ces troubles. On accompagne mieux, on corrige les trajectoires développementales, mais on ne guérit pas.
Alors il faut chercher. Et nous attendons de la recherche dans tous les champs : mieux comprendre les causes, mieux connaître les trajectoires développementales, mieux répondre aux besoins, adapter les interventions en fonction des besoins spécifiques des personnes, trouver les bons outils pour mesurer la qualité de vie, accroître l’espérance de vie, tout simplement.
Je vous le disais nous avons développé un programme d’actions dans plein de domaines et le temps qui m’est imparti aujourd’hui ne me permet pas de vous les présenter tous …
Juste vous dire qu’un autre aspect essentiel de notre travail a été la construction d’une politique de repérage et d’intervention précoce de l’ensemble des troubles du neuro-développement chez les enfants de moins de 7 ans, pour mettre fin aux pertes de chance faute d’interventions adaptées, ou parce qu’elles seraient enclenchées trop tardivement.
Et je dispose des chiffres de l’année 2022 depuis quelques jours, ce sont depuis 2019, 40 456 enfants qui ont bénéficié d’interventions précoces 41 000 enfants qui sont entrés dans un parcours de soins et d’interventions éducatives et rééducatives . C’est à la fois vertigineux et à la fois une très bonne nouvelle.
Je crois que depuis 5 ans le travail mené collectivement est considérable car au-delà de ces mesures et de leur financement, il est aussi important de souligner que l’autisme et globalement les TND ont « gagné » de l’espace dans notre société.
Le sujet touche maintenant bien plus de publics notamment par l’action que nous avons menée pour lutter contre une vision erronée de ces handicaps dit invisibles, de positionner de l’information sur ces troubles là où elle est attendue et surtout là où elle n’existait pas…
Et l’un des acquis certains de cette période est l’affirmation sans ambiguïté par les pouvoirs publics que les théories anciennes tentant d’expliquer l’autisme sont aujourd’hui révoquées pour leur manque de fondement scientifique.
Ces théories persistent parfois encore en France, mais la place centrale des recommandations de bonnes pratiques professionnelles de la HAS dans la stratégie nationale est en train de profondément faire évoluer les formations et l’action des professionnels.
Mais nous sommes à un tournant : nous avons collectivement accompli beaucoup, mais, cela n’est pas suffisant.
La première ministre m’a demandé de préparer la suite de cette politique publique et nous sommes au travail pour une sortie de cette nouvelle stratégie en mai prochain.
Il faudra continuer le travail visant à imposer l’application des recommandations de bonnes pratiques à l’ensemble des professionnels, développer des réponses adaptées sur tout le territoire en prenant en compte les souhaits des personnes. Il faudra bien sur intensifier nos efforts de recherche.
Et plus jamais, l’Etat, les collectivités locales ne doivent oublier notre devoir d’appui et d’accompagnement des personnes comme des familles.
Et nous avons dans cette période si particulière que nous vivons actuellement, un défi qui est à la fois un défi démocratique, scientifique, un défi éternel, celui de l'intelligence. De l'intelligence individuelle, bien entendu, mais surtout de l'intelligence collective.
Alors vous comprendrez pourquoi j’appelle à l’amplification de ce travail en commun, au-delà des laboratoires de rattachement, des centres hospitaliers de référence, des professions (généticiens, psychologues, pédopsychiatres, neuro-pédiatres, orthophonistes, etc.).
Je souhaite dire à tous ces professionnels : Fédérez-vous, travaillez ensemble, partagez vos données, capitalisez sur les recherches menées par les différentes équipes.
Et transférez toutes ces innovations thérapeutiques aux professionnels qui accompagnent les personnes dans leur vie quotidienne pour qu’enfin nous puissions dire que nous avons changé la donne.
Je vous remercie.